Notre tribune sur Maddyness - droit de réponse

En 2021, nous avons publié une tribune sur Maddyness, autour de la question : "pour sauver la planète, faut-il abolir la liberté d'entreprendre ?". On a eu le plaisir de la voir relayée par-ci, par-là, et commentée par quelques personnes indignées (soyons francs, on s'y attendait un peu 😉). Même si nous avons reçu autant de messages de soutien et d'adhésion, on a voulu se concentrer sur les commentaires les plus énervés, pour comprendre ce qui se cachait derrière. Petit florilège, entre tentatives de dresser quelques profils-types et éléments de réponse. 

1. Rappel du propos

Si nous posons dans le titre la notion d'abolition, ce que nous appelons de nos voeux consiste davantage à une subordination totale de la liberté d'entreprendre à nos impératifs de préservation et de restauration de l'habilité de la planète. Pourquoi ? Car chaque création (d'objet, de service, et donc d'une nouvelle entité type start-up) est aussi une destruction : de place, de matières, d'énergie.

Dans notre tribune (lien externe), nous proposons donc l'avènement de nouveaux dispositifs filtrants, chargés de faire passer tout nouveau projet entrepreneurial “sous les fourches caudines des limites planétaires” (pour reprendre les mots de Origens Media Lab). Ces "tribunaux d'existence" seraient chargés de faire appliquer de nouveaux critères de décision et seraient surtout peuplés de représentants bien plus diverses intégrant les non-humains et les générations futures. D'ailleurs, nous sommes à la recherche de terrains et d'occasions pour expérimenter ces tribunaux. Si vous êtes à la tête d'un incubateur, d'une pépinière, d'un Master en entrepreneuriat ou d'une banque publique d'investissement, faites-nous signe !

2. Quatre profils-types

Après la publication de notre tribune, quelques commentaires désapprobateurs ont fait leur apparition sur les réseaux. Il est possible de classer leurs auteurs dans quatre catégories :

L’anthropologue autoproclamé

“Vous voulez détruire ce qui fait que l’homme est un homme, car entreprendre, c’est dans notre nature ”

Justement, dans notre propos, on questionne ce soit-disant état naturel, qui ne semble s’appuyer sur aucune réalité mais plutôt sur une simple croyance ou, disons-le autrement sur une vision du monde (et de l’homme) parmi d’autres. D’ailleurs, et comme nous le précisons dans la tribune, la liberté d’entreprendre n’a acquis le statut de “droit fondamental” qu’en 1982, soit pendant les années qui ont vu la consécration de la pensée néolibérale. On est donc ici dans le cas flagrant d’un imaginaire collectif qui s’est imposé à nous comme un fait incontournable alors que d’autres alternatives sont possibles.

Le petit-petit-petit-petit fils d’Adam Smith

“Si un objet ou un service est acheté par un consommateur, c’est qu’il répond à un besoin. Sinon, il disparaîtra naturellement. ”

Là encore, cet argument est avancé comme un fait objectif alors qu’il s’agit bel et bien d’une croyance, qui nous semble bâtie sur deux mythes. D’une part, celui (décidément dévastateur) de la main invisible et d’un marché qui s’autorégule sans que personne n’ait besoin d’intervenir. D’autre part, celui d’un humain pourvu de besoins illimités auxquels il est toujours légitime de répondre. De notre côté, on s’étonne toujours de l’influence de ces deux mythes, alors qu’il suffit de considérer un moment certaines stratégies mises en place (subventions, publicité, obsolescence programmée…) pour ébranler sérieusement ces visions du monde.

Le démocrate indigné

“Ce que vous proposez est une dictature, qui êtes-vous pour juger seuls de l’existence de nouveaux projets ? ”

Ce que nous proposons est au contraire beaucoup plus démocratique que les processus actuels de sélection. Dans les jurys (mot d’ailleurs emprunté à l’univers du tribunal soit dit en passant) d’investisseurs classiques, c’est une poignée d’hommes blancs et fortunés qui décident de soutenir et donc de valider un projet ou non. Dans les tribunaux d’existence que nous appelons de nos vœux, les décisions sont prises par une population bien plus diverse : représentants de la société civile, des personnes humaines concernées par le projet, des non-humains, et des générations futures. En réalité, avec cette critique, on se demande si l'indignation n’est pas motivée par un déplacement du pouvoir de décision plutôt que par sa confiscation.

Le “Not all projects”

“Ce que vous dites est grossier et honteux. Moi, mon projet est green-solidaire-utile donc ça ne me concerne absolument pas”

Certes, dans les faits, tous les nouveaux projets ne dégradent pas l’habitabilité de la Terre. Mais est-ce bien utile de le rappeler ? Pendant qu’on le fait, on détourne les yeux d’un système majoritaire et dominant qui lui, dans sa grande majorité, est construit de façon à créer des nouveaux projets qui ont avant tout un objectif financier et qui ne font pas grand cas de la planète, des équilibres naturels, de la biodiversité, des communs, etc. C’est ça que l’on dénonce, et si certains se sentent visé.es, nous les invitons à commencer par se demander pourquoi.

3. et deux points communs

Au-delà des 4 profils-types, on a vu émerger deux dénominateurs communs chez nos détracteurs.

Le premier, c’est une farouche défense du statu quo. Un statu quo qui sans doute les traite bien, et qui, pourvu qu’il soit légèrement optimisé par quelques innovations techniques (ou encore mieux, par LA technologie qui nous sauvera tous et dont la recherche justifie d’ailleurs à elle-seule un entrepreneuriat décomplexé), convient parfaitement à l’urgence de la situation. C’est forcément préoccupant car parmi eux, on a eu la surprise de voir un certain nombre de personnes travaillant dans des fonctions RSE ou de conseil et/ou engagées dans certaines formes d’action écologique.

Le second, c’est un glissement de la défense de la liberté au libertarisme. En effet, nos critiques semblent avoir oublié que la liberté est supposée être régulée par celle des autres, et semblent davantage la considérer comme une valeur absolue. Autrement dit, aucune instance ne peut être légitimée à intervenir sur ce qu’un individu peut faire ou créer. Dans ce système, il s’agit donc de faire confiance en l’usage que chacun fait de sa liberté. Et à nouveau, c’est à nouveau préoccupant.

En conclusion, il reste encore du travail pour faire comprendre à certaines et certains que les cadres de pensée actuels et les organisations qu’ils ont créés sont les responsables de l’urgence écologique et qu’aucune action sérieuse ne pourra exister sans les remettre profondément en question. C’était l’objet de notre tribune et on est très heureux qu'à côté de ces commentaires, elle semble aussi avoir fait réfléchir quelques personnes ! Le sujet est en tout cas passionnant et nous allons continuer à l'explorer. Faites-nous signe !