Après la publication de notre tribune, quelques commentaires désapprobateurs ont fait leur apparition sur les réseaux. Il est possible de classer leurs auteurs dans quatre catégories :
L’anthropologue autoproclamé
“Vous voulez détruire ce qui fait que l’homme est un homme, car entreprendre, c’est dans notre nature ”
Justement, dans notre propos, on questionne ce soit-disant état naturel, qui ne semble s’appuyer sur aucune réalité mais plutôt sur une simple croyance ou, disons-le autrement sur une vision du monde (et de l’homme) parmi d’autres. D’ailleurs, et comme nous le précisons dans la tribune, la liberté d’entreprendre n’a acquis le statut de “droit fondamental” qu’en 1982, soit pendant les années qui ont vu la consécration de la pensée néolibérale. On est donc ici dans le cas flagrant d’un imaginaire collectif qui s’est imposé à nous comme un fait incontournable alors que d’autres alternatives sont possibles.
Le petit-petit-petit-petit fils d’Adam Smith
“Si un objet ou un service est acheté par un consommateur, c’est qu’il répond à un besoin. Sinon, il disparaîtra naturellement. ”
Là encore, cet argument est avancé comme un fait objectif alors qu’il s’agit bel et bien d’une croyance, qui nous semble bâtie sur deux mythes. D’une part, celui (décidément dévastateur) de la main invisible et d’un marché qui s’autorégule sans que personne n’ait besoin d’intervenir. D’autre part, celui d’un humain pourvu de besoins illimités auxquels il est toujours légitime de répondre. De notre côté, on s’étonne toujours de l’influence de ces deux mythes, alors qu’il suffit de considérer un moment certaines stratégies mises en place (subventions, publicité, obsolescence programmée…) pour ébranler sérieusement ces visions du monde.
Le démocrate indigné
“Ce que vous proposez est une dictature, qui êtes-vous pour juger seuls de l’existence de nouveaux projets ? ”
Ce que nous proposons est au contraire beaucoup plus démocratique que les processus actuels de sélection. Dans les jurys (mot d’ailleurs emprunté à l’univers du tribunal soit dit en passant) d’investisseurs classiques, c’est une poignée d’hommes blancs et fortunés qui décident de soutenir et donc de valider un projet ou non. Dans les tribunaux d’existence que nous appelons de nos vœux, les décisions sont prises par une population bien plus diverse : représentants de la société civile, des personnes humaines concernées par le projet, des non-humains, et des générations futures. En réalité, avec cette critique, on se demande si l'indignation n’est pas motivée par un déplacement du pouvoir de décision plutôt que par sa confiscation.
Le “Not all projects”
“Ce que vous dites est grossier et honteux. Moi, mon projet est green-solidaire-utile donc ça ne me concerne absolument pas”
Certes, dans les faits, tous les nouveaux projets ne dégradent pas l’habitabilité de la Terre. Mais est-ce bien utile de le rappeler ? Pendant qu’on le fait, on détourne les yeux d’un système majoritaire et dominant qui lui, dans sa grande majorité, est construit de façon à créer des nouveaux projets qui ont avant tout un objectif financier et qui ne font pas grand cas de la planète, des équilibres naturels, de la biodiversité, des communs, etc. C’est ça que l’on dénonce, et si certains se sentent visé.es, nous les invitons à commencer par se demander pourquoi.